Il était une fois, un territoire appelé Terre Verte, situé au grand nord de l’Europe. Glacé depuis. Terre Verte, que l’on dit – ou disait (?) tant il se réduit au fil des ans – quatre fois grand comme la France, vit s’installer et vivre une tribu particulière, au début du VIII ème siècle. Elle était différente de ses congénères, qui eux se déplaçaient, se nourrissaient, dormaient, solitaires dans la solitude d’un monde bien peu solidaire et difficilement accessible. La tribu des Ours Blancs, puisque c’est d’elle dont il s’agit, voyait son territoire se réduire peu à peu et vivait mal cet empiètement du temps et de de la mer, sur ce qu’elle pensait être la terre ferme. Aussi, fut-il décidé, un jour d’envoyer aux quatre coins du monde des émissaires chargés de porter, pour certains la bonne parole dans les pays dits « riches » et de l’aide en pétrole dans certains pays dits « pauvres ». Car la tribu des Ours Blancs, très au fait de l’évolution de la société mondiale, avait acquis les droits d’exploitation de son sous sol, au nez et à la barbe de ses cousins, ennemis héréditaires, la smala des Ours Bruns, repoussée bien au-delà du sud du territoire.
La paix s’était installée depuis. Toutefois, un quarteron d’irréductibles Ours Bruns, avait su convaincre nombre de ses coreligionnaires (!), de mettre le monde à feu et à sang. Aussi, lorsque l’un de nos beaux Ours Blancs, débarqua en terre d’Afrique, pour participer à l’expansion locale, quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre qu’une troupe d’Ours Bruns sévissait dans la région. Alors qu’une nuit, bien que protégé, il dormait dans un hôtel au nom évocateur de « A la Belle Étoile », il fut enlevé par un commando d’Ours Bruns mal léchés, mal rasés et bien mal intentionnés à son égard. Fort gaillard, il eut beau se débattre, rien n’y fit. Mal ficelé, mais ficelé tout de même, il fut vite embarqué, pour se retrouver plusieurs jours de route plus tard, au fin fond d’une terre inconnue de lui, aux prises avec ses geôliers et les embûches du désert, qu’il découvrait tant bien que mal.
Trois années durant, il fut malmené, maltraité, malheureux, dormant ou tentant de dormir, assez souvent à la belle étoile – pas l’hôtel, la vraie – ou dans des endroits bien peu adaptés à sa grande taille. Il subit plus qu’il ne vécut. Nourri, non de poisson frais ou de viande de phoque et, pour cause, mais d’herbes séchées, de scorpions équeutés, de serpents dépecés ou de fennecs décervelés, il tenait bon. Conscient de sa « valeur marchande », devant la compréhension de la situation qui était la sienne, il se montra digne et fier face à la dureté, doublée d’imbécilité, de ses geôliers. Courageux et rebelle devant les humiliations à répétition, jamais, il ne lâcha, jamais, il ne céda. Il souffrait le martyre, quand ses ennemis, eux, n’avaient pour seul objectif que de l’atteindre. Réaliste sur la situation, mais perdant peu à peu la notion du temps qui passe, il songea, à plusieurs reprises à s’échapper. Seulement voilà, un Ours Blanc dans le désert, c’est comme un renne qui se serait détaché du traîneau du Père Noël, en plein Centre Ville d’une capitale occidentale, ça se remarque ! Alors, il apprit à prendre patience, à tenter de parler avec ses gardiens. Mais, ceux-ci avaient des ordres : pas un mot, pas un geste de sollicitude – faut pas rêver ! – pas un rapprochement quel qu’il soit, pas une réaction d’aide ou de soutien, encore moins. Pire, il y avait les petits chefs qui, comme dans tout rassemblement, tenaient à se faire remarquer et ajoutaient le supplice à la douleur. Rien de plus abominable, pour un Ours Blanc, que de subir, le jour, le feu du soleil, des heures durant, sans boire et sans manger. Quant à la nuit, se retrouver les jambes arrières attachées et celles de devant enrubannées avec de la ficelle de chanvre, qui vous cisaille la peau au moindre mouvement, quoi de plus vicieux. Sans parler, de temps à autre, du musellement ou de la pose d’un chiffon collant de saleté, sur les yeux.
Ce que ne sut pas notre ami Ours, c’est qu’un jour, ces « hôtes » décidèrent de vendre chèrement sa peau. Puisqu’il n’avait plus que la peau sur les os. Et c’est à partir du moment où, recevant une nourriture plus équilibrée, plus en rapport avec sa stature et son statut de prisonnier VIP, qu’il comprit. Au bout de quelques semaines d’un régime plus favorable, il se vit échanger contre un nombre non négligeable d’Ours Bruns. Il ne douta pas un instant que les chefs de sa tribu, avaient mis, sans le dire, la main à la poche. Le hasard du calendrier fit qu’il rentra au pays un jour de décembre et que, retrouvant femme et fille en sa demeure, il eut droit à un accueil émotionnel rare, à un champagne frappé, à une entrée délicate, quoique congelée, à un plat brûlant, mais délicieux, à quelques petits sablés, des marrons glacés et une bûche de Noël en guise de dessert.
Comme quoi, l’espoir est porteur, la volonté, primordiale, le combat, nécessaire.
Joyeux Noël à vous et à notre ami Serge Lazarevic ! *
* Une pensée pour les otages occidentaux décédés, pour ceux, revenus de mois ou d’années de souffrance, passés aux mains des fous de Dieu
Bernard Sautet
Décembre 2014