Je me pose des questions, Jefékoa, par rapport aux commémorations du 13 novembre 2015, que l’on vient de vivre.
C’est à dire ?
C’est à dire que je ne suis pas certain qu’il faille, ainsi, remuer la douleur de parents et de proches de victimes, pas plus qu’il ne faille replonger les français dans ces images de l’horreur absolue.
Oui, mais d’un autre côté, se souvenir est un devoir national en même temps qu’un mouvement naturel contre l’oubli…
Et puis, les familles disent que le fait de marquer un temps pour se souvenir ainsi, est un bienfait pour elles.
Je sais. Simplement, je suis pris entre deux tendances, à savoir fixer l’événement dans le temps et le fait de ne pas remuer chacun, dans son for intérieur, avec ces moments de douleur perpétuelle.
Oui, vous voulez dire qu’elle – la douleur – appartient à chacun, que chacun est libre de savoir ce qu’il doit en faire et parallèlement, vous trouvez juste de redire la souffrance endurée par ces gens. Il me semble qu’il faut être à la fois pragmatique et dans l’empathie tout en restant dans la justesse. Je veux dire que la compréhension de la douleur des autres, qui peut tout aussi bien être partagée, est une position que je considère comme logique, humainement parlant. Elle exprime un sentiment, déclenche une réaction en montrant combien on peut être touché. C’est l’expression d’une peine, en même temps que la prise de conscience du fameux « ça n’arrive pas qu’aux autres ». Il y a, au fond, dans cet état une part d’égoïsme, puisque l’on pense aussi, à soi. Avant de penser à l’autre ou après ? Est-ce l’idée de ne pas être celui-là qui l’emporte ou la réelle compassion. Il y a, dans ces moments du souvenir, un mélange détonnant de la pensée vers l’autre et du retour sur soi.
Justement, c’est, au-delà de la compassion profondément ressentie, ce qui me gêne. Cette pensée sur soi. Comme l’impression d’avoir eu de la chance. Je ressens ce sentiment, lorsque la Presse s’empare d’une info qui nous apprend qu’un enfant a été enlevé ou qu’un autre a subi des attouchements ou autre approche dégueulasse, pardonnez le mot. Vous avez alors, les parents, aux sorties des écoles, interviewés par les journalistes qui répondent immédiatement : « c’est affreux », réponse juste, mais qui aussitôt enchaînent avec un « grâce à Dieu, ce n’est pas ma fille (ou mon fils) ! », pour réaborder de nouveau la compassion.
C’est humain et j’ai envie de dire : « heureusement ! ». Réaction saine, même si l’on peut y voir une bonne part d’égocentrisme. Mais pour revenir aux commémorations, il m’apparaît également que les politiques tentent, à chaque fois, de ressouder le Pays. On se demande si l’on n’est pas plutôt aux limites, je ne veux pas dire de la manipulation, mais n’y a-t-il vraiment pas une arrière pensée dans leur décision de multiplier les hommages ? Un seul serait certainement suffisant et peut-être plus sincère. Je pose la question…