« Bonjour ! ». Affairée, derrière son comptoir d’accueil, elle les regarde à peine, ne répond pas. Ils ont appris, dès leur toute petite enfance, à ne pas protester, à rester mesurés dans leurs propos, leur attitude. Ils savent ce que c’est ce truc latent, celui qui se pratique tous les jours et qui finit par passer, non pas inaperçu, mais comme normal. Ce truc, celui qui ne blesse pas les autres. Pas grave ! Ce n’est pas grand chose de ne pas répondre à un simple « Bonjour ! ». Dans cette société où tout va vite, peu importe le détail. Sauf que, c’est le BA-ba de la politesse, du contact, du vivre avec toutes et tous. « Attendez là ! ». Ils sont corrects, obéissent, mais en ont marre qu’ont les prennent pour ce qu’ils ne sont pas. Un barbu et son épouse enceinte. Rendez-vous compte…
Beaucoup de ceux qui agissent de cette façon, soit sont inconscients, soit, disons-le, racistes, à moins qu’ils ne se prennent pour des êtres supérieurs…
Nous sommes dans un hôpital. Normalement, ils savent être accueillants, rassurants, professionnels. De plus, depuis plusieurs semaines, pas de tri particulier, pas de mise à l’écart, ensemble ils sont considérés comme des héros. Mais certains de ces héros, ont pris la grosse tête…
Oui, mais ça, vous ne pouvez pas l’éviter ! Et puis, combien de fois, aux Urgences, ils se font agresser et doivent maîtriser leur réaction ? C’est comme cette espèce de chasse aux sorcières, si bien organisée maintenant, contre les policiers et gendarmes. Encore une fois, nous l’avons déjà dit ici, que chacun balaie devant sa porte…
Simplement, ceux-là, ceux dont je vous parle sont arrivés en France en 2008. Je passe sur ce qu’ils ont traversé. Je passe rapidement sur ce qu’un de leurs frères m’a rapporté sur leur prise en tenailles dans leur propre Pays. Il m’a donné deux exemples, pour bien me faire comprendre la situation : 10 ans de prison pour un de ses cousins, après avoir participé à une manifestation, 2 années et demi pour un autre, après avoir chanté dans sa langue d’origine. Puis, il a évoqué son propre cas. Ce mouvement de libération, alors qu’il venait d’arriver ici, quand un dossier rouge le concernant, est passé directement dans la corbeille à papiers. Il a aussitôt compris : la France lui offrait l’asile politique. Les larmes pour ce qu’il croyait être l’impossible…
Il devait avoir un passé impressionnant…
Il avait combattu Daesh, il avait vu la cruauté, de ses yeux vu. Je ne vous rapporterai pas ici, ce à quoi il a assisté. Ces gens, ce qu’ils ont fait pour nous, nous, occidentaux, asiatiques, arabes bien sûr ! Jusqu’à cette jeune femme, partie un beau matin rejoindre les daesh, comme ils les appellent. Elle s’est faite exploser, en a tué 70…
J’en frémis !
Je lui ai dit combien nous étions admiratifs et reconnaissants de ce qu’ils avaient accompli…
N’empêche, à l’hôpital, une héroïne a bafoué un héros !
Aujourd’hui, là-bas, ils sont toujours malmenés, tiraillés, persécutés. Mais, attention, eux aussi ont de quoi faire. Un nombre exorbitant de daesh sont leurs prisonniers. Poussés à bout, il ne faudrait pas qu’ils les lâchent dans la nature.
Que de souffrance !
En nous quittant, mon épouse et moi, il nous souhaitait bonheur, réussite, quiétude, avant de lancer presque timidement, mais très naturellement : « InchAllah » ! Je n’ai pas eu le temps, non, en fait, je n’ai pas osé répondre : « Dieu te protège » ! Il était passé à autre chose…